« Souvent, par leur brutalité, leur violence, pareilles expériences provoquent chez la personne une souffrance d’une telle intensité qu’elle ne la perçoit même plus comme une douleur, l’effet de choc, de profond traumatisme, faisant disparaître sur le coup les facultés de raison et de perception consciente. Erika crut sentir le sol se dérober sous ses pieds, se crut précipitée dans le vide depuis des hauteurs vertigineuses, le souffle coupé, irrésistiblement aspirée par un tourbillon, elle eut l’impression de plonger dans un abime inconnu mais qu’elle savait fatal, à une vitesse accrue à chaque minuscule unité de temps qui la rapprochait de la fin de cette horrible chute, au bout de laquelle elle se retrouverait brisée, fracassée.
Erika Ewald avait déjà connu trop de petites déceptions pour pouvoir faire face à une expérience douloureuse de cette intensité. Sa vie avait été remplie de ces petits chagrins qui recèlent une part d’étrange sensation de félicité, car ils sont à la source de bien des heures de rêverie mélancolique, de doux désespoir, de suaves tristesses, où les poètes puisent les vers de leurs chants les plus beaux. Elle croyait, durant ces heures, avoir senti la force du destin, sa griffe, alors que ce n’était que l’ombre inconsistante de sa main levée, menaçante. Elle avait cru avoir déjà senti le poids de la violence aveugle de la vie, et cette croyance lui donnait l’illusion d’être forte, aguerrie et voici que la réalité, à présent, faisait voler en éclats cette assurance comme le jouet d’un enfant coléreux dans sa main brutale. » (p. 101-2)
« Il devait en être ainsi ; car il y a des âmes qui ne sont pas faites pour l’amour, auxquelles seule est dévolue la sainte émotion de l’attente parce qu’elles sont trop faibles pour supporter la douloureuse félicité de l’accomplissement. » (p. 108)